Loi sur l’Industrie verte : quels sont les impacts pour les entreprises
La loi Industrie verte, récemment adoptée, a pour objectif de promouvoir des pratiques plus durables et équitables au sein des entreprises.
Ce texte complète d’autres dispositifs récents, comme la loi sur le Partage de la valeur, visant à mieux répartir les bénéfices entre les différentes parties prenantes de l’entreprise.
Verdissement de l’économie, introduction d’actifs non cotés dans les Plans d’épargne retraite, fin des tables de mortalité genrées… Rim Ennajar-Sayadi, Directrice Epargne Retraite Entreprise d’AXA, nous explique ce qu’apporte concrètement la loi Industrie verte.
Pouvez-vous nous décrire dans quel contexte s’inscrit la publication de cette loi ?
Les entreprises naviguent dans un environnement règlementaire très foisonnant depuis quelques années. Cela a commencé par la loi Pacte de 2019, avant de s’enchaîner avec la loi Partage de la valeur et la loi Industrie verte plus récemment en 2023.
Le leitmotiv de ces évolutions règlementaires est de favoriser le financement de l’économie et particulièrement des entreprises françaises, avec deux leviers importants : d’une part, le soutien de la transition écologique industrielle en France et, d’autre part, la volonté d’assurer un meilleur partage de la richesse créée par les entreprises pour leurs salariés.
La loi Industrie verte s’inscrit dans cette logique avec 3 objectifs majeurs :
- Participer à la réindustrialisation française ;
- Favoriser les investissements verts ;
- Contribuer à la suppression de la discrimination genrée.
« Ces mesures ont des impacts directs sur notre métier d’assureur, notamment afin de nous assurer des bonnes allocations de l’épargne des salariés et de la bonne tarification des rentes viagères. »
Pour résumer, à travers cette loi, nous nous attendons à avoir une intensification et un verdissement du financement des PME/ETI en France, avec une estimation globale comprise entre 1 et 2 milliards d’euros de financement orientés vers ces entreprises.
Pour contextualiser les choses, il faut savoir que depuis la sortie de la crise Covid, le législateur souhaite soutenir les petites et moyennes entreprises en difficulté en leur permettant d’accéder à un financement moins coûteux, mais aussi de démocratiser le financement vert en instaurant un pourcentage minimum de fonds non-côtés.
En d‘autres termes, des entreprises non cotées vont pouvoir lever des fonds grâce notamment à des investisseurs institutionnels comme les assureurs, qui vont mettre à disposition de leurs clients ce type de véhicule d’investissement permettant de financer le tissu économique.
Les différentes évolutions issues de la Loi Industrie Verte ont donc des impacts majeurs pour nous assureurs.
Les stratégies d’investissement des assureurs vont devoir évoluer suite à la loi Industrie verte. Pouvez-vous nous en dire plus ? Qu’en est-il désormais des critères pour que les fonds soient classifiés à faible risque ?
Deux principaux aspects de la loi vont nous impacter. Le premier concerne l’intégration d’une part minimale d’actifs non cotés dans la gestion pilotée* des Plans d’épargne retraite (PER), dans une moyenne de l’ordre de 5 %.
Les actifs non cotés ont été introduits dans les contrats d’assurance vie à travers la loi PACTE mais concernaient plutôt la partie individuelle, le Plan d’épargne retraite est un véhicule d’investissement de long terme qui se prête particulièrement bien à ce type d’investissement. En effet, le rendement risque du non-côté est optimisé sur le long terme, ce qui favorise la protection des épargnants. Comme l’horizon d’investissement est très long, on a le temps d’adapter la stratégie d’investissement, ce qui limite les risques. Ceci explique la volonté de rendre ce type d’actif obligatoire dans les PER.
La deuxième porte sur la révision et le durcissement du critère de fonds financiers à faible risque. Ce durcissement va dans une logique de protection de l’épargne des clients.
« Ces mesures visent à réorienter les flux financiers vers des investissements de l’économie réelle. Notre objectif va donc être d’assurer une certaine diversification et des bénéfices attractifs pour les épargnants »
Ces deux mesures viennent se compléter avec la revue des labels Investissement Socialement Responsable (ISR) issus de la loi Partage de la Valeur.
Ainsi, la loi souhaite encourager les investissements dans les projets de réindustrialisation, avec un focus sur les industries locales et durables.
Les tables de mortalité utilisées dans les contrats d’épargne ne seront désormais plus distinctes entre les hommes et les femmes. Qu’est-ce que cela change concrètement ?
Ce n’est pas un sujet nouveau. En effet, en 2011, la Cour de justice de l’Union européenne avait décidé d’harmoniser l’utilisation des tables de mortalité non genrées. Cette règle s’appliquait exclusivement au périmètre individuel ; sur ce point, le champ collectif a bénéficié d’une dérogation ayant pris fin avec la loi Industrie verte.
Ce nouveau texte poursuit donc un objectif sociétal en harmonisant les tables de mortalité distinctes selon le genre pour les contrats collectifs.
« Il sera donc obligatoire d’utiliser une table commune pour les hommes et les femmes au moment de la liquidation »
Concrètement, le fonctionnement actuel est le suivant : l’espérance de vie entre hommes et femmes est inégale. Statistiquement, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Ceci a un impact au niveau assurantiel. Prenons l’exemple d’un homme et d’une femme cotisant à un contrat retraite pendant une durée identique. Au moment de la liquidation des droits, le capital obtenu sera le même. Ce capital va être converti en rente, en d’autres termes, l’assureur va diviser ce montant de capital par le nombre d’années estimées à vivre encore pour l’homme et pour la femme. Les femmes vivant plus longtemps auront un montant de rente plus faible que les hommes pour le même capital.
C’est là qu’intervient la loi industrie verte, laquelle stipule que le versement de montants de rentes différenciés constitue une pratique discriminatoire et impose donc d’appliquer désormais une table commune. En utilisant la même table, les hommes et les femmes toucheront au moment de la liquidation, un montant de rente identique à capital égal. En parallèle de ce changement, nous sommes en attente de la sortie d’une future table mixte.
A partir du 24 octobre 2024, l’utilisation des nouvelles tables de mortalité non genrées sera obligatoire pour les nouveaux contrats et à partir du 1er janvier 2025 pour les affaires déjà en portefeuille.
Comment vous préparez-vous à ces évolutions règlementaires ?
En tant que leader du marché Epargne Retraite, nos équipes sont mobilisées et réalisent une veille nécessaire pour être au fait des évolutions et mener les discussions avec les autres acteurs du marché, dans l’objectif de bien appréhender et mettre en œuvre les évolutions règlementaires fréquentes. Cet exercice nous oblige à une grande agilité et à innover constamment tant notre environnement législatif est actif.
Spécifiquement pour la Loi Industrie Verte, elle s’inscrit dans un contexte réglementaire riche avec de forts impacts sur notre métier. Elle vient introduire d’importantes modifications dans les stratégies d’investissement et sur les liquidations. Nous avons donc 2 rôles à jouer :
- Le premier, sur la pédagogie auprès des réseaux de distribution, des entreprises et des salariés, pour expliquer les répercussions de ces textes ;
- Le second se concentre sur la transformation de nos offres actuelles et le développement de nouvelles offres en accord avec les évolutions réglementaires, afin de répondre pleinement aux besoins des clients actuels et futurs.
Pour résumer, les enjeux de la loi sur l’industrie verte nous offrent l’opportunité d’enrichir et de diversifier l’épargne des clients tout en leur permettant de jouer un rôle important dans le financement de l’économie réelle et la transition énergétique. Ce contexte nous incite à repousser nos limites et à innover pour répondre aux attentes des clients d’une manière simple et rapide.
* La gestion pilotée : C’est un mécanisme qui ajuste automatiquement la répartition des investissements d’un plan d’épargne retraite en fonction de l’âge de l’adhérent. La grille pilotée privilégie les investissements plus risqués lorsqu’on est jeune, et réduit progressivement le risque à mesure que l’adhérent se rapproche de l’âge de la retraite. Cela vise à maximiser les rendements potentiels tout en limitant le risque de perte lorsque la liquidation du compte est proche.